Festivals de musique : le rap et l’électro ont ensoleillé cet été mitigé

Après un démarrage délicat en juillet, la saison des festivals de musiques actuelles se termine sur les succès d’affiches essentiellement rap ou électro, comme à Face B, le week-end dernier à Charleville-Mézières. Pour beaucoup d’organisateurs, le destin de l’été 2022 va se jouer dès la rentrée.

Par Odile de Plas

Publié le 01 septembre 2021 à 15h00

Mis à jour le 01 septembre 2021 à 16h21

Du rap, des jeunes, debout, en masse et sans masque. En affichant complet (sept mille spectateurs), ce samedi 28 août à Charleville-Mézières, avec les vétérans de IAM, Chilla, SoSo Maness, PLK ou encore Vladimir Cauchemar, Face B, la version « Covid-compatible » du Cabaret Vert, a fait mentir les prévisions d’un été des festivals décidément surprenant, contrasté et riche d’enseignement. On pensait le passer assis, masqué, sur fond de chanson ou de jazz. Voilà que la saison se termine avec le succès d’esthétiques musicales qu’on annonçait « sacrifiées » sur l’autel des contraintes sanitaires.

Les deux week-ends précédents, le Delta et Marsatac rassemblaient respectivement vingt-trois mille et treize mille personnes autour d’affiches essentiellement électro et rap. Quelques jours plus tôt néanmoins, on apprenait l’annulation de We Love Green, le festival pop et écolo parisien prévu les 11 et 12 septembre, alors même que deux festivals électro, Peacock Society (les 4 et 5 septembre) et Dream Nation (les 17 et 18 septembre), se tiendront le même mois, avec des jauges dépassant les dix mille spectateurs.

Pas question de parader toutefois, souligne Julien Sauvage, directeur du Cabaret Vert et de Face B, car ce succès est très relatif : « Nous sommes heureux, mais franchement, les chiffres ne sont pas importants cette année. Même en faisant complet les quatre soirs, le total n’aurait pas dépassé une simple journée du Cabaret Vert, alors… Ce qui compte et nous rend fiers, c’est d’avoir existé et proposé non pas une version dégradée, mais d’avoir pu inventer un autre festival en un temps record, même si ça va tirer sur les équipes, on le sait. »

De assis à debout

Étalé sur cinq semaines, Face B a investi et superbement rénové une friche industrielle voisine, La Macérienne, ancienne usine de zeppelins, puis de bicyclettes, et haut lieu de l’histoire ouvrière locale. S’y succéderont, jusqu’au 26 septembre, de longs week-ends d’intenses propositions culturelles, entre BD, art contemporain, marionnettes et débats d’idées. Même sentiment à Marsatac, où Béatrice Desgranges, la directrice, évoque surtout la satisfaction d’avoir « relevé un défi » et le plaisir d’avoir investi un nouveau lieu, le parc Borely, sur les hauteurs de la ville, quand on l’avait cantonné jusqu’alors aux entrepôts post-industriels du port.

Au Syndicat des musiques actuelles (SMA), qui réunit la majorité des indépendants du secteur, la réserve est aussi de mise. « Le passage de assis à debout a tout changé, sans cela ces succès n’existeraient pas, précise Aurélie Hannedouche, sa présidente. D’ailleurs, en dehors de quelques ovnis qui ont fait le plein, en petite jauges, comme No Logo en Franche-Comté, spécialisé dans le reggae, Les Suds, festival de musique du monde à Arles, Poupet, chanson-rock, en Vendée, les fréquentations ont été globalement à la traine. »

À l’image des Francofolies de La Rochelle, alternant début juillet salles combles et esplanade Saint-Jean d’Acre à moitié vide parfois, ou des Vieilles Charrues, pénalisées à leur ouverture par une météo catastrophique, qui a failli tout mettre par terre, rappelle Jérome Tréhorel, son directeur. Il se dit heureux d’avoir « tenu bon, malgré tout », surtout quand la profession se déchirait cet hiver sur la question de maintenir ou d’annuler face au risque de dénaturer l’esprit des festivals.

Si le passe sanitaire a freiné les réservations au moment de son annonce fin mai, de l’avis de l’ensemble des organisateurs, il n’est pas responsable de cette fréquentation globalement « molle ». « Certes, il y a eu un manque de pédagogie et les gens étaient un peu perdus début juillet, mais ce fut un outil de libération et de sécurité, indéniablement. Il nous a permis de revivre des festivals presque normaux, estime Jérome Tréhorel, des Vieilles Charrues.

À sa faveur, plusieurs festivals électro ont finalement adapté leur programmation au début de l’été, comme les Nuits Sonores à Lyon. Quant aux festivals du mois d’août, ils en ont nettement bénéficié, à l’image du Delta et de son dancefloor géant sur la plage du Prado. « Pour le reste, on a surtout constaté et compris qu’il ne nous suffisait pas de revenir pour que les gens accourent », constate Christian Alex, programmateur de Face B, mais aussi de la Magnifique Society à Reims ou du VYV Festival (du 2 au 5 septembre, à Dijon). « Il va falloir récréer du lien, de l’expérience, et s’appuyer sur les bonnes idées de l’été, comme le service à table, qui plaît aux familles, aux groupes d’amis qui en font un lieu de rendez-vous. »

« Les festivals se sont construits sur vingt artistes cet été », constate Christian Alex, programmateur de Face B.

« Les festivals se sont construits sur vingt artistes cet été », constate Christian Alex, programmateur de Face B. C. Caron

Artistiquement, il est vrai, les affiches ne rivalisaient pas avec les années précédentes. « Les festivals se sont construits sur vingt artistes cet été », poursuit Christian Alex. D’où l’importance, à ses yeux, d’avoir conservé du rap quand partout ailleurs la chanson dominait. La chose pourtant « n’était pas évidente au printemps quand il fallait se lancer en assis, distancié ». Entre la peur de jouer devant une salle clairsemée et l’obligation de baisser les cachets pour les adapter aux jauges réduites, les refus étaient nombreux et le travail de persuasion, difficile. « Ceux qui ont joué le jeu en ont été récompensés. Il faut les en remercier », estime aujourd’hui Béatrice Desgranges, qui a fait face aux mêmes hésitations.

Fonds de soutien

D’un point de vue financier, pas d’inquiétude à noter chez les organisateurs, même quand leur festival n’a pas affiché complet. L’équilibre budgétaire devrait être atteint grâce au fonds exceptionnel de soutien aux festivals et aux compensations de billetterie, toujours en cours. Tous, en revanche, scrutent les tendances et les annonces d’une rentrée qu’aucun n’imagine tranquille.

Il y a tout d’abord la mise en place au 31 août du passe sanitaire obligatoire pour toutes les équipes de lieux accueillant du public. Le sujet inquiète les gérants de salle et les organisateurs, tenus de les vérifier et de procéder aux licenciements si nécessaire, or « l’obligation ne doit pas reposer sur l’employeur », estime le SMA, qui entend négocier ce point dès lundi, lors de sa rencontre avec Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie. Autre demande pressante du SMA : le retour aux jauges à 100 % en salles au plus vite. Un point de vue que nuance Béatrice Desgranges : « On a vu que les gens ont besoin de se sentir rassurés et qu’ils se décident toujours plus au dernier moment. Il faudra rester attentif les uns aux autres, car c’est à la rentrée que se joue le succès de l’été 2022. »

Y aller
Face B, jusqu’au 26 septembre, à Charleville-Mézières. Week-end BD (du 3 au 5 septembre), éco week-end (du 10 au 12 septembre), marionnettes (du 17 au 26 septembre). Ouvert du mardi au dimanche.
VYV Festival, du 2 au 5 septembre, à Dijon.
Peacock Society, les 4 et 5 septembre, au parc de Choisy.
Dream Nation, les 17 et 18 septembre, Parc des expositions du Bourget.

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