Déconfinement de la culture : comment ça se passe ailleurs en Europe ?

Alors qu’Emmanuel Macron vient d’annoncer un calendrier de réouverture pour les musées, théâtres et autres cinémas, nos voisins, eux aussi, commencent à relever la tête. Mais la situation reste fragile.

Par Christophe Bourdoiseau, Louis Borel, Pierre Chaperon, Sarah Cohen, Emmanuelle Dasque, Léa Malgouyres, Isabelle Mayault, Stephan Zelle

Publié le 30 avril 2021 à 09h00

Mis à jour le 10 mai 2021 à 22h53

Au Portugal, on espère

À pas de velours. Après trois mois d’hiver marqués par le sceau d’un strict confinement, le Portugal de la culture, depuis la mi-mars, rouvre ses portes en s’adaptant à la situation de chaque commune. Ce calendrier peut à tout moment être suspendu si la situation sanitaire se dégrade. Le pays affichait au mois de janvier dernier le triste record du pays le plus touché au monde par la pandémie… Prudence, donc. Les librairies et bibliothèques ont été les premières à ouvrir, suivis deux semaines plus tard par les musées, les monuments historiques et les galeries d’art. Pour retrouver le public, la Mairie de Lisbonne a instauré la gratuité pendant tout le mois d’avril. Vint ensuite le tour des cinémas, des théâtres et des salles de spectacle de composer avec cette nouvelle normalité : horaires limités, spectateurs masqués, séparés par un siège vide… Le 3 mai, enfin, si tout va bien, tout devrait être accessible. Avec masques et gestes barrières. Certains espèrent même le retour de festivals cet été… E.D.

En Allemagne, on referme

En Allemagne, le monde de la culture s’est battu pendant des mois pour que les responsables politiques ne mettent pas les opéras et les théâtres dans la même catégorie que les zoos et les maisons closes (autorisées ici) : celle des « loisirs ». À Berlin, plusieurs salles de spectacle prestigieuses, dont l’opéra Staatsoper et la Philharmonie, ont lancé une expérience pilote en mars afin de prouver que la culture pouvait fonctionner malgré la crise sanitaire. Avec un test antigénique (compris dans le prix du billet), les spectateurs ont été autorisés pour un seul soir à se rendre à une représentation ou un concert. Mais la situation sanitaire s’aggravant, l’expérience n’a pas eu de suite. Tout a refermé le 24 avril, même les musées berlinois après deux semaines d’une timide réouverture. Gueule de bois. C.B.

Le concert test Operation Heartbeat, au Holzmarkt à Berlin, le 27 mars 2021.

Le concert test Operation Heartbeat, au Holzmarkt à Berlin, le 27 mars 2021.

Christoph Soeder/AP/SIPA


En Espagne, on encourage le public

Goya au musée du Prado, García Lorca au Théâtre Victoria, Pilar Palomero au Cine Equis, Puccini à l’Opéra royal, l’offre culturelle à Madrid ne désemplit pas. L’an passé, à la réouverture, qui s’est échelonnée entre mai et juin suivant les régions autonomes, une bonne partie des musées étaient gratuits jusqu’au 31 août. Aidé par une campagne de publicité « Cultura Segura » (la culture est sûre), le Ministère a mis toute son énergie pour que le public réinvestisse les lieux culturels. « La culture est nécessaire, annonçait au début du mois d’avril le ministre de la Culture, José Manuel Rodríguez Uribes. Il faut faire tout notre possible pour la garder en vie, parce que c’est une industrie qui crée de l’emploi, de la richesse. »

Au musée du Prado, à Madrid, le 1er mars, lors de l’exposition Pasiones mitológicas. L’établissement a rouvert ses portes dès le 6 juin 2020.

Au musée du Prado, à Madrid, le 1er mars, lors de l’exposition Pasiones mitológicas. L’établissement a rouvert ses portes dès le 6 juin 2020. Carlos Alvarez / Getty images Europe / Getty Images via AFP)

L’Espagne va de l’avant, mais la crainte reste présente. « Depuis le début de la crise, la situation est chaque fois plus critique », avertit Lydia Alonso, porte-parole de l’association Alerta Roja, un syndicat qui regroupe les industries du spectacle et de l’événementiel. « Le statut d’artiste n’est pas clair. Il est très difficile d’accéder aux aides. Beaucoup se découragent. Les lendemains risquent d’être douloureux. » P.C.


Aux Pays-Bas, on patiente

En attendant l’ouverture, annoncée pour le 26 mai, dix-sept musées, et quelques théâtres ou salles de concert ont pu tester au mois d’avril leurs éventuelles futures conditions d’accueil. Jauges limitées, port du masque, distanciation sociale et test négatif montré à l’entrée. Même si l’expérience a été couronnée de succès – toutes les places avaient été vendues en un temps record et tous les visiteurs se sont pliés au protocole –, Janelle Moerman, directrice de musée, reste mitigée : « Bien évidemment nous nous sommes réjouis d’avoir pu ouvrir nos portes. Mais le Prinsenhof, comme tous les autres musées du pays, ne souhaite plus devoir refuser des visiteurs. »

Le roi Willem-Alexander a visité le concours Eurovision de la chanson à Ahoy à Rotterdam, aux Pays-Bas, le 22 avril 2021.

Le roi Willem-Alexander a visité le concours Eurovision de la chanson à Ahoy à Rotterdam, aux Pays-Bas, le 22 avril 2021. Wenstedt/RPE/Pool/PPE/ddp Images/ABACAPRESS.COM

La prochaine étape risque d’être plus compliquée encore : accueillir la finale de l’Eurovision. Au programme : recevoir trente-huit délégations et trois mille cinq cents fans (testés préalablement) à Ahoy, une salle de spectacle de Rotterdam qui peut en temps normal accueillir dix-sept mille personnes. Taux de remplissage : à peine 20 %. Le monde d’après se fait attendre… S.Z.


En Italie, on reste prudent

« Il était temps ! » s’exclamait une Romaine devant le cinéma Quattro Fontane, billet en poche, attendant de pouvoir se glisser enfin dans la salle obscure et plonger dans l’univers d’Arnaud Desplechin. Comme les cinémas, les théâtres, musées et salles de concert ont rouvert leurs portes en Italie depuis le 26 avril dans les régions à faible circulation du virus, soit les trois quarts du pays. Une joie qui reste teintée d’inquiétude. Alors, le mot d’ordre, c’est : piano piano selon le respect du protocole sanitaire quelque peu différent de l’année dernière. La limitation de la jauge des salles passe de 25 % à 50 %, avec un maximum de cinq cents personnes à l’intérieur, mille à l’extérieur. Le port du masque reste obligatoire. Le couvre-feu confirmé à 22 heures jusqu’à mi-mai soulève, lui, de nombreuses interrogations de la part du milieu culturel. Mais pour Marco Ciutti, directeur du Théâtre Vascello, à Rome, « Limportant est de relancer la machine culturelle, moteur essentiel de la société. L’enjeu sera par la suite de retrouver la confiance du public, qui parfois voit les lieux culturels comme des lieux de possible contamination. » Reste l’équation économique, que pointe Cristina Nisiticò, du Cinedetour, une salle indépendante de la capitale. « Ouvrir dans ces conditions n’est pas rentable pour une petite structure comme la nôtre. » Rendez-vous en septembre ? S.C.

Au cinéma Quattro Fontane, à Rome, le lundi 26 avril 2021. 

Au cinéma Quattro Fontane, à Rome, le lundi 26 avril 2021.  Cecilia Fabiano/AP/SIPA


En Belgique, on proteste

En Belgique, les lieux de culture restent fermés. Seul un sommaire « plan plein air » autorise à partir du 8 mai les événements en extérieur avec une capacité maximale de cinquante personnes. Le secteur avait échafaudé une scrupuleuse feuille de route selon un calendrier progressif. Le gouvernement a sifflé la fin de la récré. En guise de protestation, le collectif Still Standing for Culture, né à la fin du premier confinement pour alerter sur la précarité des artistes, a prévu l’auto-déconfinement de plus de cent espaces entre le 30 avril et le 8 mai. Cinémas, théâtres, centres culturels accueilleront les spectateurs dans le strict respect du protocole déjà appliqué l’été passé, avec pour point d’orgue la fête du Travail. « Le 1er mai doit rappeler qu’on a nous aussi le droit d’exercer, déclare Frédéric Cornet, directeur du cinéma Galeries, situé dans la capitale. C’est précisément le rôle de la culture de réunir les gens pour réfléchir au monde dans lequel on est. » Le Théâtre royal flamand avait lancé les hostilités en ouvrant dès le 26 avril, avant que l’exécutif n’accepte de transformer l’initiative en premier événement-test. « On commence avec cinquante spectateurs et on va augmenter progressivement la jauge jusqu’à trois cents personnes, explique Mickaël de Cock, directeur artistique de l’institution. On mesurera à chaque fois la qualité de l’air et, si elle ne varie pas, il n’y aura plus de raison de ne pas rouvrir. » Pour les autres tentatives prévues par Still Standing for Culture, le procureur du roi a promis la verbalisation de tous les potentiels participants. « Mais on contestera chaque verbalisation s’il le faut, assure Stéphane Menti. Cette pression forte des gouvernants prouve qu’on est scrutés de près : c’est bon signe. » L.B.

À Bruxelles, le 11 mars 2021, au cinéma Galeries. Si les lieux culturels restent fermés, le secteur tente de résister.

À Bruxelles, le 11 mars 2021, au cinéma Galeries. Si les lieux culturels restent fermés, le secteur tente de résister. Isopix/ABACA

Au Royaume-Uni, on s’adapte

Les rues des grandes villes britanniques s’animent, les tickets de festival se vendent, on se croirait presque avant you-know-what. Le gouvernement a publié fin mars une feuille de route annonçant la réouverture des lieux culturels le 17 mai et la fin des contraintes de distanciation en juin. Pour de vrai ? Philippine Nguyen, fondatrice d’Art Night, un festival qui fait partie des institutions qui ont reçu des aides exceptionnelles de l’État, y croit à moitié. « On n’a pas les moyens de risquer d’annuler à nouveau », explique-t-elle. Certains lieux ont même annoncé qu’ils ne rouvriront pas avant l’automne. Pour déjouer le sort, beaucoup ont fait le pari du plein air. Le théâtre londonien Arcola, par exemple, a construit un plateau en bois à côté de son bâtiment et Home, le grand lieu pluridisciplinaire de Manchester, ouvre dans un mois une scène extérieure de quatre cents places. Mais la palme de l’adaptation revient au Design Museum, qui vient d’ouvrir le seul musée qui ne fermera pas : un supermarché dont tout le marketing a été réalisé par des artistes. Au-dessus des rayons chatoyants, on lit « La créativité est essentielle ». Léa Malgouyres

À Londres, le 20 avril 2021. Le Design Museum a ouvert un “supermarché” qui lui, ne fermera pas.

À Londres, le 20 avril 2021. Le Design Museum a ouvert un “supermarché” qui lui, ne fermera pas. Stephen Chung/LNP//SIPA


En Suisse, on profite

Pas superstitieux, le cinéma Grütli, à Genève, a ouvert le 19 avril, un lundi, et ses deux séances ont fait le plein. Soit un tiers de la capacité de la salle en temps normal. Dans la pratique, le maximum autorisé est de cinquante personnes, une jauge qui défavorise de facto les grandes salles. Mais Paolo Moretti, le directeur des lieux, ne boude pas son plaisir : après avoir été obligé de détricoter puis de retricoter plusieurs fois la programmation, il salue cette « bonne surprise » et se réjouit de montrer au public « des propositions fortes », pas des « films pour remplir ». C’est ce même fameux lundi que le rideau s’est enfin levé sur le Théâtre de Poche de Genève, le plus réactif de Suisse romande. Après trois fausses joies dans les mois passés, dont « un pétard mouillé » en mars, la troupe était sur les genoux. Personne n’attendait plus rien des annonces du Conseil fédéral. Et puis, soudain, une ouverture ! Les comédiens, à fleur de peau, se sont lancés dans une double aventure : Qui a peur de Virginia Woolf ?, d’Albee, et Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, de Fassbinder. Au moment des applaudissements, même devant quarante personnes, l’émotion était là. Une spectatrice de 90 ans, a même glissé à l’équipe : « Je ne pensais pas revenir un jour au théâtre. » I.M.

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