Comment faire une bonne réédition ?

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Comment faire une bonne réédition ?

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Feu Réédition
Feu Réédition

“J’tire pas à côté, donc pourquoi rééditer ?” questionnait Rohff en 2004. Près de 20 ans plus tard, on s’interroge : comment faire une bonne réédition quand on n’est pas aussi précis au tir que Rohff ?

On aurait pu croire que la démocratisation du streaming allait faire disparaître certaines pratiques a priori liées au format physique, comme l’habitude de certaines maisons de disques d’enchainer les rééditions d’albums. Il aurait été plus judicieux de se mettre directement le doigt dans l'œil : on n’a jamais autant réédité que depuis le début de l’ère de Spotify, Deezer et Apple Music.

On avait déjà légèrement tendance à se moquer du monde à l’époque des formats physiques, avec des albums agrémentés la plupart du temps d’un ou deux inédits voire de simples remixs et versions alternatives. On comprend tout de même la démarche : relancer l’intérêt autour d’un disque, trouver un nouveau prétexte pour de la promo, un nouveau single à placer en playlist radio ou à clipper, avec pour objectif final la vente de quelques milliers d’exemplaires supplémentaires. La démocratisation du streaming aurait pu mettre fin à ce système. La dématérialisation offre des solutions technologiques idéales pour modifier ou augmenter le contenu d’un album en temps réel, et là encore, on aurait pu croire que le principe de la tracklist évolutive allait devenir dominant. Kanye West avait fait sensation en 2016 en modifiant par petites touches The Life of Pablo : des changements de prods, des ajouts dans la tracklist, des modifications de lyrics, des ajouts de featurings. Ce qui aurait pu être une petite révolution s’est quasiment avéré être un one shot, avec quasiment aucune conséquence sur l’industrie de la musique.

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On a donc continué à publier des rééditions exactement de la même manière que lorsque le format physique posait des contraintes lourdes. La grande différence s’est faite dans la fluidité des sorties, avec des versions augmentées facilement disponibles et des formats extrêmement variés. On a vu passer des rééditions très courtes, d’autres qui doublent littéralement la taille de la tracklist originale, certaines avec de vrais titres forts et marquants, d’autres avec des morceaux pas finalisés voire de simples maquettes. Tout est possible, et c’est bien le nœud du problème.

Cette fluidité a tout de même permis d’éliminer l’une des grandes contraintes du format physique. Si le besoin de rééditer se présente à cause d’un titre à retirer pour une quelconque raison juridique (un sample non-déclaré, un propos qui tombe sous le coup de la justice, etc), tout devient plus simple : il suffit de le supprimer des plateformes, sans avoir besoin de rééditer l’album. Le média Views rappelait très justement  le cas du premier album de Joke et son “cauchemar logistique” : à cause d’un sample utilisé sans autorisation, il avait fallu rappeler les exemplaires physiques déjà vendus et retirer les disques des bacs des magasins, avant de presser de nouveaux CD, de les réacheminer et de les remettre en vente. Avec le streaming, il n’y a même plus besoin de rééditer, cette longue et coûteuse procédure devient simple comme un clic.

Ces dernières années, de nombreuses rééditions moyennement pertinentes ont vu le jour, donnant progressivement une image uniquement négative du procédé. Morceaux pas terminés, maquettes, chutes de studio, titres finalisés mais bien en deçà de la qualité du reste de la tracklist, versions live … La réédition,  “c’est comme le changement de couleur sur les capsules d’héroïne, pour mieux tromper les boloss, comme l’a fait Stringer Bell”, pourrait dire Despo Rutti. On prend le même album, on change la couleur de la pochette, et on le vend comme si c’était un produit inédit.

Il existe tout de même quelques bons exemples d’albums dont les rééditions ont du sens, et ont même pu constituer une plus-value. On peut donc établir sans trop de difficultés une liste de choses à respecter quand on veut publier une nouvelle version pertinente d’un projet.

Un format d’origine qui ne soit pas trop définitif

On ne s’en rend pas forcément compte si on ne se pose pas la question, mais tout type d’album n’ouvre pas forcément la voie à une réédition. Certains projets se suffisent amplement à eux-mêmes, et s’ils sont bien construits, se structurent de manière ordonnée avec un début, un milieu et une fin. Ajouter des titres en fin de tracklist par le biais d’une réédition, ou réorganiser l’ordre des morceaux pour y insérer des inédits peut créer un véritable désordre et faire perdre du sens à l’ensemble. L’exemple le plus évident est celui des albums scénarisés comme JVLIVS (Sch) ou L’étrange histoire de Mr Anderson (Laylow). Difficile de toucher à la structure de ces disques sans déséquilibrer l’ensemble, voire leur faire perdre une partie de leur âme.

Des ajouts suffisamment consistants

Dans certains cas, rééditer peut évidemment avoir du sens. Il faut cependant que les titres supplémentaires soient suffisamment solides pour représenter une véritable plus-value. Difficile de ne pas citer Or Noir part.2, puisque des titres comme Sombre, Juste ou Chargé ont été aussi impactants que les bangers de la version d’origine. Dans l’idéal, les inédits devraient donc être aussi forts que les meilleurs titres de la tracklist d’origine. Dans le pire des cas, ils devraient être dans la moyenne du reste de l’album.

Malheureusement, on se retrouve régulièrement avec des morceaux en deçà, voire très en deçà de l’ensemble. C’est bien simple : une fois sur deux, les titres ajoutés sur les rééditions sont les moins bons de l’album. On réédite donc pour livrer une version moins bonne d’un album. C’est un peu le principe de l’aliment gonflé avec de l’eau : c’est plus gros, ça dure plus longtemps, mais ce n’est que du remplissage, et ça perd de sa saveur.

Du bonus en phase avec l’univers du projet initial

On imagine mal un album 100% boom-bap auquel on viendrait ajouter 4 titres orientés jersey, drill ou rage : le projet y laisse forcément un peu de son âme et de sa couleur d’origine. Quand Kaaris a réedité Or Noir, il n’a pas changé son fusil d’épaule, en restant dans les thématiques, les sonorités et l’état d’esprit de la première partie. Même chose pour Damso avec QALF Infinity : on apprécie ou non la deuxième partie de l’album, mais on ne peut pas lui reprocher son absence de cohérence avec l’univers initialement mis en place.

Se lâcher un peu

Ce n’est ni un mystère ni une accusation dont il faudrait se défendre : l’objectif principal d’une réédition est de faire gonfler les chiffres de vente d’un album, et de relancer les écoutes du reste du catalogue de l’artiste par la même occasion. C’est le jeu, le rap est une industrie comme une autre, et ça n’a rien de particulièrement honteux, à partir du moment où on ne prend pas le public visé pour une simple vache à lait. Il est tout à fait possible de proposer autre chose que du remplissage quand on réédite, et surtout, ça peut être l’occasion de se lâcher un peu plus que sur le reste de l’album. Les titres inédits peuvent représenter une petite récréation bienvenue, et apporter un peu de folie à des albums un peu trop formatés.

Des morceaux terminés et aboutis

C’est affreux de devoir le préciser, mais à partir du moment où un morceau est commercialisé, il se doit d’être terminé. On ne met pas en vente un vêtement si les coutures ne sont pas faites, une voiture s’il manque les roues, ou un ordinateur si la carte-mère n’est pas encore prête. Même chose pour les œuvres culturelles : on n’aurait pas idée de mettre en vente les copies du manuscrit d’un roman ou les rushs d’un film. Le rap fait donc exception : on balance des maquettes, des morceaux pas finalisés, et on appelle ça réédition. Le cas d’Orelsan pose tout de même question, ses fans ayant été plutôt satisfaits par la proposition faite sur Civilisations Perdues, avec des maquettes “retravaillées pendant sept mois”. Il est donc possible, dans certains cas, de trouver un compromis entre pur remplissage et envie d’offrir une friandise à ses supporters.