Avant, on parlait d’autoproduire son disque, maintenant d’autoproduire son projet musical. À l’heure où l’artiste-entrepreneur est une réalité au cœur des attentions, qu’est-ce que cela signifie ? Éléments de réponse avec Myriam Eddaïra et Nicolas Dufournet, deux ingés son et réalisateurs artistiques qui montent une formation avec le CNM à l’attention des artistes-pro
L’analyse date d’il y a 10 ans et de la première étude qui pointait le phénomène en France : « L’importance croissante de l’autoproduction entraîne de nouvelles formes de collaborations, et un certain nombre d’artistes-producteurs signent ainsi des contrats hybrides entre la distribution et la licence ».
Aujourd’hui, la tendance s’est poursuivie et le modèle de l’artiste qui gère sa petite entreprise est devenu une norme pour certains milieux, notamment dans le hip-hop et les musiques urbaines.
Ce constat n’échappe à personne et une étude internationale de Midia Research témoigne même que le segment des artistes non signés en maison de disques est celui qui a connu la croissance la plus forte en 2017 (+ 27,2%).
L’artiste-entrepreneur est ainsi au cœur des attentions. Preuves par l’exemple : le ministère de la Culture finalise actuellement une étude sur le nouveau visage de l’autoproduction, ou la SPPF a organisé un meet-up à destination des managers d’artiste-producteur A priori, avec la multiplication annoncée des services en direct aux artistes, notamment ceux d’autodistribution proposés par Spotify, SoundCloud ou encore TuneCore, le phénomène ne devrait pas fléchir.
Au plus près de cette réalité, les ingénieurs du son et réalisateurs artistiques Nicolas Dufournet (Studio Melodium) et Myriam Eddaïra (Studio d’Ikken), par ailleurs manageuse d’artistes (MMF France), ont décidé de monter une formation pour mieux accompagner les artistes-entrepreneurs dans leurs productions/réalisations et dans leur démarche de structuration professionnelle.
Entre deux sessions studio, on leur a posé quelques questions sur le sujet.
Interview
Les artistes-producteurs sont devenus la norme
Avant, on parlait d’autoproduire son disque, maintenant d’autoproduire son projet musical. Quelle est la différence ?
Myriam : Pour un artiste, aujourd’hui, le projet n’est plus forcément de produire un album coûte que coûte. Selon les cas, cela passe par un EP ou une œuvre multimédia avec du clip, de l’image, un livre, un livret Avant, les artistes autoproduisaient leurs démos, parfois allaient jusqu’au mix et au mastering, mais ils s’attendaient toujours à signer avec un label pour avoir une prise en charge de la promotion et de la distribution. Or, ce n’est plus le cas maintenant. De la conception jusqu’à la distribution, certains sont totalement autoproduits.
Au MMF (syndicat de managers), on constate d’ailleurs qu’il y a de plus en plus de managers qui s’occupent d’artistes-entrepreneurs. Le modèle de l’artiste qui attend de son manager qu’il lui trouve des contrats en labels existe toujours, mais le manager est maintenant là pour l’aider à se structurer, à monter sa boîte, à défendre ses intérêts, etc.
Nicolas : En tant que produit à vendre, le disque n’est plus l’enjeu. En revanche, son contenu reste central dans la réussite d’un projet musical qui peut être moins formaté car Internet offre une alternative aux radios. Les enregistrements sont plus courts aussi car l’offre de nouveautés s’est accrue, et effectivement le projet englobe l’image sans laquelle la musique ne peut pas/plus voyager !
Pourquoi cette évolution ?
Myriam : Les modes de distribution et de diffusion ont énormément évolué, et c’est compliqué de trouver une maison de disques ou un distributeur qui soit compétent dans tous les domaines, dans une dynamique où tout n’est pas déjà formaté. Plutôt que d’enregistrer un album tous les ans, certains artistes vont préférer sortir 4 titres tous les 6 mois par exemple. De plus en plus souvent, l’autoproduction est un choix qui offre une plus grande liberté. Et puis, il y a de moins en moins d’argent aussi, donc le faire seul est une façon de se garantir un maximum de retours sur investissement.
Comment répondre aujourd’hui aux besoins en formation des artistes-producteurs ? Quels sont leurs manques ?
Nicolas : Les artistes-producteurs sont devenus la norme. Mais, bien qu’il n’ait jamais été aussi facile de produire de la musique, il n’a jamais été aussi difficile de se professionnaliser. Le degré d’aboutissement des projets proposés aux majors et aux labels indépendants n’a jamais été aussi élevé, et on remarque parfois une certain manque de connaissances, notamment en ce qui concerne les outils de production, le savoir-faire technique et artistique des équipes (musiciens, arrangeurs, beatmakers, ingénieurs prise de son, ingénieurs mixeurs, réalisateurs) ou le fonctionnement du marché de la musique.
Myriam : Il faut préciser que les besoins sont très variables selon les profils et les parcours. Certains sont DIY par nécessité, d’autres sont allés à la pêche aux infos ou ont suivi des formations en son. Il y a des artistes qui sont arrivés dans le métier sans du tout savoir quel était le fonctionnement socio-économique du secteur, rêvant de signer avec une maison de disques, et qui s’aperçoivent qu’ils ont besoin d’adopter un modèle économique différent, de connaître les contrats, les outils à disposition, de maîtriser un home studio, etc. Et puis, pour ceux qui savent très bien mener leur barque, je pense notamment aux artistes de musiques urbaines qui sont forts en business et savent très bien gérer les partenariats avec des marques, il faut juste préciser et contextualiser le cadre législatif et juridique pour qu’ils sachent ce qu’ils peuvent faire, et éventuellement leur apporter du conseil en stratégie si besoin.
Sur quels aspects porte la formation que vous proposez ?
Nicolas : Le stage dure 5 jours et aborde les besoins en terme de savoir-faire administratifs (code ISRC, déclarations SACEM et SDRM), techniques, artistiques, et en matière de gestion humaine. La réalisation est essentiellement abordée sur le plan technique, car il n’y a pas de recettes en artistique, juste un minimum requis, notamment sur la capacité à formuler et à transmettre des objectifs. Enfin, la formation se termine par des exercices collaboratifs, où l’idée est d’écouter les participants présenter leur projet et de répondre à leur questions de manière précise.