Le 21 juin dernier, le Centre national de la musique dresse le bilan de ses actions menées sur l’année 2022.
À l’heure de se pencher une dernière fois sur 2022, c’est un sentiment curieux qui prédomine. Qu’on en juge : l’année dernière, celle de la reprise, a commencé, dans notre pays, avec des mesures d’interdictions administratives des concerts debout et des bars dans les salles de concert ; quelques semaines plus tard, en février, l’agression russe en Ukraine a choqué le monde entier ; une inflation record a pénalisé le pouvoir d’achat des ménages et lourdement pesé sur les acteurs et les actrices de notre filière musicale ; des festivals ont été annulés, ici pour canicule, là pour menaces d’inondations. Retenons tout de même aussi ce qu’il y a d’encourageant dans ce tableau : l’activité des salles de concert et des festivals a repris, à des niveaux certes très variables ; la musique enregistrée a continué sa croissance et, à l’international, les artistes français ont enregistré de superbes résultats.
Pour sa troisième année d’existence, le CNM s’était doté d’un budget d’intervention qui, dans le cadre de la reprise, dédiait une grande partie des quelque 194 millions d’euros accordés par le ministère de la Culture aux aides exceptionnelles à notre filière, si durement touchée par la crise sanitaire. D’une logique de sauvegarde, nous étions alors passés à une logique de relance, afin d’accompagner la reprise de l’activité musicale.
C’est dans ce contexte que, tout au long de cette année, les équipes du CNM ont démontré une fois encore un très fort engagement. Sans dresser de bilan exhaustif, je mettrais particulièrement en avant quelques points saillants : plus de 8 300 demandes d’aides ont été examinées pour l’ensemble de nos dispositifs ; près de 1 100 heures de formation et près de 1 000 rendez-vous ont été organisés pour orienter et conseiller ; les Éditions ont pris un nouveau départ, en amorçant la réédition de l’ensemble des guides métiers ; le CNM a soutenu le développement international de nos artistes, partout dans le monde, avec de beaux résultats dont attestent les « certifications export » de l’année 2022 publiées le mois dernier ; le CNM a joué un rôle fédérateur pour faire émerger la voix de la filière européenne de la musique dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne en lançant à Strasbourg l’initiative One Voice for European Music ; la taxe a repris à un rythme soutenu, tout comme les crédits d’impôt, qui ont atteint un niveau record ; nous avons mis en place une action déterminée en direction des Outre-mer et des territoires métropolitains ; nous avons élargi les mesures pour l’égalité femmes-hommes ; nos systèmes d’information ont continué à se déployer, avec une attention forte aux enjeux de sécurité ; des études importantes ont été conduites et rendues publiques ; des partenariats significatifs ont été signés avec des institutions et des acteurs culturels ; la qualité de la gestion budgétaire et comptable a progressé ; le dialogue social a été riche et s’est déroulé dans de bonnes conditions.
Le CNM n’étant plus cantonné au rôle de « pompier » qu’il endossait jusqu’ici, nous avons aussi pu continuer à consolider notre action pour la filière, avec la volonté d’agir sur un temps plus long et moins soumis aux diktats de l’urgence.
L’an dernier, je citais quatre grands défis qui se profilaient : la défense de la diversité, l’international, l’innovation et la transition écologique. À ceux-ci, qui sont toujours d’actualité, viennent s’ajouter en 2023 l’inflation et les évolutions des modèles économiques dans le live. L’économie du spectacle, déjà complexe avant la crise, est désormais enserrée dans des contraintes inédites. Les coûts explosent, les recettes sont, pour beaucoup, incertaines, et des investissements massifs sont indispensables pour accélérer un véritable virage écologique, numérique et en matière d’expérience spectateur. À ces questions désormais structurelles sont venues s’adjoindre des inquiétudes un peu plus lointaines quant à l’année 2024, avec les Jeux olympiques attendus par le pays depuis un siècle, mais qui constitueront une contrainte de plus dans la vie des spectacles.
Du côté de la musique enregistrée, les défis ne sont pas moins considérables : la production française a été vaillante, et le développement des écoutes de musique en ligne est synonyme de très belles opportunités. Mais l’exigence en termes de création, de qualité et d’innovation est tout aussi forte pour que les artistes trouvent leur public ; elle s’inscrit dans une équation économique moins rémunératrice que ne l’était le modèle exclusivement physique, dans un contexte extrêmement concurrentiel, où à travers le monde 100 000 nouveaux titres sont ajoutés chaque jour sur les plateformes. La question de la « découvrabilité » est donc majeure pour la diversité et la vitalité de la création musicale française. Et si de nouveaux modes de production désintermédiés ouvrent de nouvelles perspectives, ils ébranlent aussi certains fondamentaux dans la gestion et la répartition des droits, alors que les organismes de gestion collective sont déjà fragilisés par la concurrence, les conséquences de l’arrêt RAAP de la Cour de justice de l’Union européenne et les tentatives de remettre en cause la rémunération pour copie privée. En conséquence, la situation des auteurs et des autrices, des compositeurs et compositrices demeure fragile, et le travail des éditeurs et éditrices se révèle plus complexe qu’avant la crise. Cependant, outre ces difficultés rencontrées par la musique enregistrée, il faut se réjouir de notre capacité à exporter nos productions musicales, attestée par les chiffres des certifications à l’export 2022, en progression de 38 % par rapport à 2021. Sur cette question de l’export, le CNM est déjà très présent, mais nous maintenons nos efforts en 2023 pour ne pas perdre de terrain sur le marché mondial. Il y a là un enjeu de rayonnement, de développement, d’influence et de souveraineté.
Le CNM, opérateur du ministère de la Culture, entend jouer pleinement le rôle que la loi a prévu pour lui. Car comment imaginer que chaque association, chaque entreprise, chaque établissement de la musique et des variétés pourra, individuellement, relever ces défis vertigineux ? La filière musicale doit prendre conscience d’elle-même, se vivre comme un secteur solidaire, avec des acteurs et des actrices interdépendants, et je crois profondément que c’est ensemble que nous serons en mesure de répondre à ces défis. Après déjà trois années d’existence, je suis plus que jamais convaincu que le CNM est le bon outil, original et moderne pour cela. Il repose sur la concertation, l’indépendance, l’efficacité, l’association des professionnelles et professionnels, la transparence des décisions, et la connaissance des métiers et des enjeux de notre économie. Il repose aussi sur la solidarité et le CNM veut, au nom de l’intérêt général de la filière, contribuer à transcender les hétérogénéités, les divisions, les antagonismes même, comme ont réussi à le faire d’autres industries culturelles avant la nôtre.
L’observation de la filière, l’analyse, la prospective et l’évaluation sont les premiers piliers indispensables à l’action de l’établissement ; l’accompagnement non financier joue également un rôle de plus en plus important pour faire naître des solutions en matière de formation, pour armer les professionnelles et professionnels des compétences et des outils exigés par notre époque ; enfin, les aides financières s’adapteront, dès la fin 2023, pour soutenir les activités existantes et surtout susciter et accompagner les évolutions de demain. C’est un schéma d’intervention profondément renouvelé, innovant, simplifié, efficace, que nous préparons en ce moment, et je sais pouvoir compter sur les différents représentants de la filière pour nous aider à le bâtir.
Grâce au ministère de la Culture, le CNM va pouvoir, en 2023, continuer à soutenir la filière. La taxe sur la billetterie de spectacles a démontré son efficacité et sa pertinence, partie de l’initiative des professionnelles et professionnels eux-mêmes ; l’État a tenu ses engagements et les organismes de gestion collective ont augmenté leur contribution.
Mais la construction de notre établissement reste à parachever. Autant le dire clairement : en 2024, si rien ne change, la loi du 30 octobre 2019 ne sera pas pleinement mise en application et certaines compétences ne seront pas, ou plus difficilement, traduites en actes, ce que les professionnelles et professionnels, partout dans le pays, mesureront très vite, parfois douloureusement. Des projets d’enregistrements ne se réaliseront pas ; des opportunités à l’export seront manquées, et la part de marché des productions françaises continuera à reculer; des festivals, mais aussi des salles de concerts, connaîtront des difficultés insurmontables ; des compositrices et des compositeurs auront plus de mal à être joués. Perspectives inacceptables, surtout lorsqu’on considère la formidable ambition du législateur pour notre filière en 2019.
Au fond, en 2023, nous examinons les questions qui se seraient posées dès 2020 ou 2021, en l’absence de pandémie. Elles sont vertigineuses et excitantes! Les résultats acquis, ensemble, avec les professionnelles et professionnels dans les groupes de travail, au conseil professionnel et au sein du conseil d’administration, la confiance dans l’intelligence collective qui s’est petit à petit constituée permettent d’être optimistes.
Dans un an, dans l’édito du rapport d’activité 2023, nous pourrons, ensemble, faire les comptes et dresser les bilans.
Jean-Philippe THIELLAY,
président du Centre national de la musique