[INTERVIEW] Suite à la sortie en décembre du guide L’Édition musicale, qui explique en 464 pages le métier d’éditeur musical et ses subtilités, son auteur, Matthieu Chabaud, nous présente l’ouvrage et les enjeux d’une profession en perpétuelle évolution.
La rédaction du guide a pris plusieurs années à Matthieu Chabaud, sans qu’il ne s’essouffle : “J’aime écrire, donner des formations et transmettre“ prévient-il, par ailleurs passionné par le métier d’éditeur, qu’il exerce depuis bientôt vingt ans. “Je suis arrivé dans l’édition musicale sans rien y connaître, mais j’ai rapidement découvert beaucoup d’éléments intéressants, une logique quasi philosophique qui m’a fait adhérer et plonger dans la profession“ explique-t-il en nous décrivant son parcours.
Protéiforme, le métier d’éditeur musical n’est pas simple à expliquer. Comment avez-vous procédé dans ce livre ?
Comme lors des formations, je pars d’une ligne directrice qui permet d’aborder tous les aspects du métier et d’en montrer la cohérence. Ce guide décrypte comment, à partir de la valeur extraordinaire d’une œuvre créée par des auteurs (paroliers, compositeurs, adaptateurs, arrangeurs), l’éditeur de musique apporte une valeur supplémentaire. L’ouvrage suit cette trame et explique tout du long de quelle manière l’éditeur crée, ajoute, administre et partage cette valeur éditoriale, que ce soit à travers l’histoire et les fondamentaux du métier, les différents contrats – de cession et d’édition d’œuvre musicale, de préférence, de coédition, de sous-édition, de gestion de catalogue éditorial -, ou la relation avec les OGC, et plus particulièrement avec la Sacem.
Vous détaillez ce fonctionnement en plus de 450 pages : est-ce à dire que le métier a changé et s’est profondément étoffé ?
L’édition musicale est un métier déjà très écrit, inscrit dans le Code de la propriété intellectuelle, présent dans les contrats, la jurisprudence, et le fameux Code des usages et des bonnes pratiques de l’édition des œuvres musicales qui fait référence à la fois à l’édition d’œuvre de musique populaire, de musique de librairie musicale et de musique classique et contemporaine. Les usages ont énormément ajouté à notre métier, mais ce n’est qu’en 2017 que les éditeurs et les auteurs se sont dotés d’un Code des usages et des bonnes pratiques, ce qui a en effet ajouté des éléments importants précisés dans ce livre.
L’éditeur n’est pas limité dans sa tâche et possède des solutions pour s’adapter.
Comment l’éditeur musical s’adapte-t-il à son époque ?
L’édition a l’avantage d’être à la fois un métier ancien et un métier d’avenir. C’est un métier du temps, ce qui l’a toujours conduit à s’adapter. N’oublions pas que l’éditeur de musique est cessionnaire des droits des auteurs et par là même le premier exploitant des créations. La conséquence est qu’il passe son temps à comprendre, trouver, s’adapter et développer de nouvelles formes d’exploitation d’une œuvre : il cherche à la faire interpréter, remixer, arranger, adapter… active son réseau pour qu’un producteur phonographique fixe l’interprétation, peut remettre au goût du jour des œuvres plus anciennes, placer une musique sur un film, une pub ou un jeu vidéo… Donc l’éditeur n’est pas limité dans sa tâche et possède toujours des solutions pour s’adapter.
Même quand on parle d’un volet plus historique qu’est la reproduction graphique (partitions, paroles, etc.), certes moins en vue aujourd’hui, on s’aperçoit qu’il y a des évolutions : l’exploitation des paroles ou des titres de chansons via les moteurs de recherche, sur les réseaux sociaux ou sous forme de merchandising. Comme quoi, rien n’est figé ! Le métier d’éditeur regarde son passé, se trouve totalement ancré dans son présent et a la capacité de se projeter vers l’avenir. C’est une lame de fond qui s’adapte bien aux enjeux en évolution, trouvant toujours à s’en sortir et une certaine forme de stabilité.
Les changements entraînent toujours peur et résistance – quand la reproduction mécanique arrive, on pense que c’est la fin des exploitations graphiques ; quand la radio arrive, on pense que c’est la fin des concerts ; quand le CD arrive, on pense que c’est la fin du vinyle ; puis quand le streaming arrive, on pense que c’est la fin de tous les supports physiques, etc. – et malgré tout l’éditeur a toujours réussi à trouver des solutions pour continuer à exploiter une œuvre et générer des droits de reproduction et de représentation, sans jamais oublier que par sa nature, il prend des risques en tant que premier investisseur de l’œuvre musicale en développement.
Revenons à l’ouvrage : pourquoi tout éditeur, novice comme confirmé, devrait en faire sa bible ?
Parce qu’il n’y a pas d’autres livres aussi actualisés et complets sur le sujet, où les aspects les plus importants du métier sont détaillés. Pour les éditeurs novices, il permet d’appréhender et de comprendre la profession dans sa totalité comme dans ses subtilités, nombreuses. Et pour les éditeurs plus aguerris, il répond à un ensemble de questionnements car, au-delà des éclaircissements techniques, j’espère que transparaît au fil des pages ce que j’appelle une philosophie de l’édition, ancrée dans le temps, presque un art de vivre où l’idée de continuité suppose une progression et une évolution positive.
Il n’y a pas de fantasme à avoir, le métier n’a rien de secret.
L’édition musicale est une activité convoitée. Préciser ses bonnes pratiques et sa philosophie permet-il de mieux encadrer le métier ?
Oui, car l’édition musicale est habitée par des fantasmes et des idées reçues. Certes, il y a des cas où les relations avec un éditeur se passent mal, mais il y a surtout eu trop longtemps la sensation d’une culture du secret qui a pu nuire à la profession. Le travail de la CSDEM ces dernières années, le fait de donner des formations ou l’exercice de ce livre témoignent qu’il n’y a pas de fantasme à avoir et que le métier n’a rien de secret, en dehors de quelques savoir-faire internes aux entreprises, évidemment. A ce titre, les divers entretiens que j’ai eus avec des éditeurs de tous horizons, qui jalonnent l’ouvrage, m’ont permis de voir très concrètement que les façons de travailler étaient parfois très différentes, ce qui ajoute à la diversité de ce métier.
L’idée que l’éditeur gagne beaucoup d’argent sans rien faire reste cependant toujours présente dans quelques têtes un peu naïves, ce qui rend l’activité convoitée par d’autres acteurs dont ce n’est pas le premier métier. Or, bien entendu, cette vision naïve écarte le fait que l’éditeur apporte une valeur par ses investissements humains et pécuniaires, son travail de réflexion artistique, de développement et d’exploitation, avec au milieu de cela de l’administratif, du juridique, des notions de rémunération, des droits à aller récupérer en France ou à l’étranger, notamment auprès des OGC, ce qui rend le métier complexe et technique.
Depuis plusieurs années, le secteur de l’édition musicale réclame aux législateurs un crédit d’impôt dédié. Comment ce dossier évolue-t-il ?
L’éditeur de musique est le premier acteur qui va investir dans la relation avec un auteur et dans une œuvre musicale. Quand l’éditeur investit, souvent plusieurs années avant que le projet n’aboutisse ou ne soit exploité, la valeur de son investissement initial est multipliée par 2,5 à 3 fois par l’apport du travail de ses femmes et de ses hommes sur la durée. C’est, en particulier, ce travail de développement qui justifie la demande d’un crédit d’impôt. Malheureusement, fin 2020, après avoir été adopté par les sénateurs, le dispositif a été retiré à l’Assemblée nationale en seconde lecture. La discussion a cependant eu lieu, approuvant que l’édition musicale est clairement un sujet transversal à la filière, et nous avons bon espoir que le crédit d’impôt soit un jour accepté… peut-être en 2021 ?
La crise n’est pas juste passée, actuelle, ou le temps d’une année. Il est vraisemblable qu’elle dure quelques années encore.
Quels sont les impacts de la crise sanitaire sur le métier d’éditeur ? Les répercussions sont-elles susceptibles de modifier la façon dont les éditeurs conçoivent et exercent leur activité ?
La crise impacte les paroliers, les compositeurs et tous les éditeurs de musique. Les éditeurs d’ouvrages pédagogiques de musique classique et contemporaine ont vu les ventes de partitions ou de méthodes d’enseignement réduites à zéro avec les confinements, avec des pertes fréquemment évaluées à plus de 90 % du chiffre d’affaires. Les librairies musicales attachées à placer de la musique sur des œuvres audiovisuelles ont vu la production de films ou de publicités très diminuée ou arrêtée. L’édition de musiques populaires a aussi été impactée puisqu’il n’y a plus de concerts, plus de films dans les cinémas…
D’autres répercussions vont apparaître à partir de ce mois de janvier et pour les deux ou trois prochaines années. Vu que les droits sont décalés dans le temps, en général d’une année, l’impact sera visible dès début 2021 et lors des répartitions de droits à venir et sans doute encore pour longtemps. Il ne faut pas oublier que les éditeurs de musique sont très majoritairement des TPE, souvent des sociétés unipersonnelles qui risquent de disparaître, ce qui est une catastrophe. Les perceptions de droits de la Sacem vont sans doute baisser de l’ordre de 25 à 30 %, peut-être plus, il va y avoir un problème avec l’emploi et de grosses baisses de chiffre d’affaires, ce qui va imputer les aides et les subventions assises sur les droits récupérés par les OGC… Donc cette situation n’est pas juste passée, actuelle, ou le temps d’une année, mais il est vraisemblable qu’elle dure quelques années encore.