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Cinq étapes pour réduire son empreinte carbone en tournée

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Bonne nouvelle pour la planète, mauvaise nouvelle pour les artistes : depuis le mois de mars 2020, les tournées sont à l’arrêt à cause de la crise sanitaire liée à l’épidémie de la Covid-19. Le moment semble donc opportun pour réfléchir à une décarbonation de l’industrie. Le CNM, engagé pour une transition écologique dans la musique comme en témoigne son manifeste, a souhaité poser les bases d’une réflexion pour réduire le bilan carbone des tournées.





Coldplay, Massive Attack, Radiohead, ces groupes ont un point commun : la volonté de réduire le bilan carbone de leurs tournées. Le premier a décidé d’arrêter la sienne, le deuxième finance une étude à ce sujet, le troisième a été un précurseur avec son “Carbon Neutral World Tour” en 2008. Conscients de leur impact sur l’environnement, ils contribuent à la remise en question d’une industrie musicale encore trop peu résiliente. En effet, selon une étude publiée par Eneris en 2011, le bilan carbone moyen d’un festival de 50 000 festivaliers en France s’élèverait à 1 000 tonnes de CO2 soit l’équivalent de 400 allers-retours Paris-New York en avion. L’organisation allemande Green Touring Network a publié un guide pour aider les artistes à développer une “tournée verte”, soit au bilan carbone réduit. Dans ce guide, on apprend que les émissions de CO2 d’un concert en Allemagne équivalent en moyenne à un vol aller de Berlin à New York soit 1,5 tonne de CO2. Si l’on y ajoute tous les concerts ayant eu lieu en Allemagne en 2014, les émissions de CO2 correspondraient à 248 000 vols Berlin-New York. Cela commence à faire beaucoup d’allers-retours. La prise de conscience du secteur au travers d’un mouvement tel que Music Declares Emergency témoigne d’une volonté globale de réduire l’impact environnemental de cette industrie. Par où commencer ? Bonne question. On y répond en cinq étapes.

Calculer son bilan carbone pour mieux agir

Pour partir sur de bonnes bases, il faut savoir ce qu’est un bilan carbone. Il correspond au calcul des émissions, directes ou indirectes, de gaz à effet de serre (GES) d’une activité. Il se traduit en tonnes équivalent CO2. Comme nous le dit Caroline Voyer, cofondatrice du projet Artistes citoyens en tournée (ACT) : “Quantifier, c’est super important”. En effet, “Si l’on n’a pas de base, on ne sait pas par où commencer, on est un peu désemparés. À partir du moment où l’on mesure et l’on se donne des objectifs d’amélioration, on se sent plus maîtres de nos décisions et de ce qui va arriver.” L’association québécoise a publié un guide pour aider les artistes à améliorer leurs pratiques en tournée. Par ailleurs, ACT est en train de tester avec plusieurs équipes d’artistes un calculateur de bilan carbone sur la base d’un tableau Excel dans lequel “il s’agit d’indiquer le nombre de kilomètres parcourus, les moyens de transports utilisés et le nombre de personnes concernées”. Caroline Voyer aimerait pouvoir rendre disponible ce calculateur sur leur site d’ici deux mois. Selon elle, bien qu’il soit important d’aider les artistes et leurs équipes à calculer leur bilan carbone, ils ont tout à gagner en le calculant eux-mêmes pour mieux comprendre les causes du problème. La source la plus problématique reste évidemment celle des transports.

L'empreinte carbone en tournée musicale (illustration en anglais) source : green touring network
Bilan carbone de la tournée We Invented Paris 

Optimiser ses trajets

En mesurant le bilan carbone de sa tournée en 2014, le groupe indie rock We Invented Paris a montré que les transports (du groupe et du public) représentent la part la plus importante des émissions de GES, soit environ 14,6 tonnes de CO2. La solution est-elle d’arrêter de tourner ? Non. Selon Gwendolenn Sharp, fondatrice du projet The Green Room, il faut “repenser la manière de construire une tournée notamment sur la durée”. Ayant travaillé dans la production, elle souhaite faire évoluer les mentalités, priant de “ne pas tourner dans quinze pays parce que c’est prestigieux”. Optimiser les trajets semble donc être la meilleure option pour éviter d’alourdir son bilan carbone en tant qu’artiste. Cela passe par l’utilisation du train ou du bus dès que possible lorsque l’on tourne dans un pays. Et l’avion dans tout ça ? Il vaut mieux éviter dans le mesure du possible. Un choix difficile à opérer, notamment chez les DJ puisque les dates s’accumulent sur les week-ends. Cela se ressent dans les chiffres. Selon une étude menée par Stamp The Wax, un DJ en tournée pendant un mois atteindrait le même bilan carbone qu’un citoyen anglais moyen sur un an. Pour tenter de répondre à cette problématique, le concept de compensation carbone a émergé. Dans Libération, Laure Le Marchand, créatrice de l’agence de booking On Board Music, explique qu’il est possible de soutenir des projets en faveur de l’environnement permettant de compenser son bilan carbone. Pour éviter les abus et le greenwashing, l’ADEME préconise cinq bonnes pratiques pour effectuer une compensation carbone volontaire viable mais rappelle ceci : “Avant toute action de compensation, l’ADEME recommande bien entendu d’éviter et réduire ses émissions.”
Si l’avion est inévitable pour certaines et certains, regrouper les concerts et festivals en fonction du lieu et de la date permet d’alléger le bilan carbone d’une tournée. Problème ? “Un des gros obstacles que font remonter les tourneurs sont les clauses d’exclusivité, notamment avec certains festivals et certaines salles. Ce qui signifie qu’on n’a pas le droit de faire plus d’une date dans tel pays ou dans telle région. C’est très contre-productif,” avoue Gwendolenn Sharp. En effet, ces clauses d’exclusivité empêchent les artistes d’optimiser leurs tournées. Cependant, la fondatrice de The Green Room ajoute avec enthousiasme que, à l’inverse, des festivals et des salles s’organisent collectivement pour proposer à des artistes de venir pour plusieurs dates. “On essaie de promouvoir ce genre d’initiatives pour que cela serve d’exemple.”

Sensibiliser son entourage professionnel

Être une ou un artiste engagé ne signifie pas que toute son équipe technique l’est, idem pour les salles de concerts et les festivals. Tenter de modifier tous les chaînons de l’industrie musicale à l’échelle d’une personne semble compliqué, pourtant des solutions existent pour sensibiliser son entourage professionnel. Pour Gwendolenn Sharp, “Travailler avec des artistes permet de toucher toutes les parties prenantes.” La sensibilisation commence d’ailleurs avec la mise en place d’un éco-rider, c’est-à-dire une fiche technique d’accueil de l’artiste respectueuse de l’environnement. L’association ACT donne des consignes très claires telles que l’interdiction des bouteilles d’eau, la demande d’installation d’une station d’eau potable dans les loges ou encore la préférence pour une alimentation biologique et locale pour le catering. Lancée par la DJ et productrice canadienne Blond:ish, l’initiative Bye Bye Plastic a réussi à réunir la signature de 1 500 artistes du milieu des musiques électroniques, dont Amelie Lens, Damian Lazarus ou bien Pete Tong, pour s’engager à fournir un “éco-rider” aux événements auxquels elles ou ils participent, notamment en clubs. Pour la productrice canadienne, “L’évolution s’est faite de manière très naturelle, les salles et clubs sont venus nous voir pour nous dire qu’ils voulaient eux aussi s’assurer que leurs efforts pour la lutte contre le plastique étaient mis en pratique.” Elle affirme que l’équipe de Bye Bye Plastic a aidé les salles volontaires “en développant des outils de communication, afin qu'[elles] puissent les envoyer aux DJ pendant le processus de réservation, mais aussi installer des panneaux dans leurs locaux pour rappeler leur choix et leur déclaration”.
À mesure que les artistes s’engagent en faveur de la réduction de leur bilan carbone, les salles et festivals qui les accueillent jouent également le jeu. Ces derniers représentent 34 % du bilan carbone d’une tournée, d’où la nécessité de maîtriser leur consommation énergétique.

Blond:ish, DJ et productrice canadienne, fondatrice de Bye-Bye Plastic
Blond:ish, DJ et productrice canadienne, fondatrice de Bye-Bye Plastic

Agir sur la consommation énergétique d’un show

En matière de maîtrise de la consommation énergétique d’un concert, Radiohead est l’un des premiers de la classe. Le groupe britannique a modernisé son parc de lumières en passant à un éclairage 100 % LED, plus connu sous le nom de la “LED Forest” dans le cadre de sa tournée neutre en carbone. Le groupe a d’ailleurs incité plusieurs salles à se tourner vers les énergies renouvelables. En effet, maîtriser la consommation énergétique d’un concert ne dépend pas uniquement de l’artiste. Les salles de concerts possèdent plusieurs leviers d’action, à commencer par le choix du fournisseur d’électricité. En France, l’Aéronef à Lille a obtenu la certification norme ISO 20121 en 2016, témoignant de son implication en faveur du développement durable dans l’événementiel. Depuis 2018, la salle lilloise a opéré un changement de fournisseur d’électricité. Elle est désormais alimentée à 100 % en énergies renouvelables, tout comme le Trabendo à Paris ou encore le Tétris au Havre.
La maîtrise de la consommation énergétique vient également de la réduction des déchets puisque leur traitement génère des émissions, directes et indirectes, de gaz à effets de serre (GES). C’est pourquoi des projets tels que Drastic On Plastic, porté par le collectif R2D2, Réseaux régionaux d’accompagnement des événements au développement durable, comptent. Les 60 festivals français ayant signé la charte Drastic On Plastic s’engagent à lutter contre la pollution plastique au travers de multiples actions : interdire la vente de bouteilles en plastique, proposer des gobelets réutilisables neutres, se servir de vaisselle compostable, concevoir une signalétique réutilisable, en matériaux durables. D’autre part, le festival We Love Green à Paris s’est engagé dans le zéro plastique à usage unique en 2019 en incluant les artistes, restaurateurs, partenaires, prestataires et bénévoles. Résultat : cet engagement collectif a évité l’utilisation de 280 174 bouteilles en plastiques. Bien que les professionnelles et professionnels de la musique s’engagent, il reste encore une dernière étape : la prise de conscience et l’engagement du public.

Radiohead LED Forest
Radiohead LED Forest

Communiquer sur son engagement pour sensibiliser son public

Last but not least, la dernière étape après avoir fait tout son possible : communiquer. Comme le montre le bilan carbone de la tournée de We Invented Paris, les transports utilisés par le public correspondent à 33 % du bilan carbone de la tournée. La réduction de ce dernier passe donc par la mobilisation du public. Il est devenu désormais normal pour les festivals et les artistes d’inciter leur public à covoiturer, à venir en transports en commun ou à vélo pour limiter les émissions de CO2 engendrées indirectement par la tournée. Des festivals comme Marsatac ou encore le Green Fest dans le sud-est de la France ont créé des groupes Facebook spécifiques de covoiturage pour leurs événements.
Du côté des artistes, les initiatives se multiplient. La star américaine d’à peine 19 ans Billie Eilish a décidé de s’engager auprès de l’organisation américaine Reverb pour sa tournée mondiale Where Do We Go ? Elle offre des places de concerts à ses fans les plus investis pour l’environnement, ce qui se mesure par le nombre de pétitions signées ou de lettres envoyées aux politiques concernant des décisions environnementales. Il est aussi possible d’amener des gourdes à ses concerts. Enfin, un écovillage Reverb est mis en place à chaque date afin d’informer son public et de l’inciter à s’engager pour la planète. En France, le collectif The Freaks recense “42 gestes pour sauver l’homme et la planète” appliqués par les 68 artistes impliqués. Cette opération de communication vise à sensibiliser les publics divers et variés de chaque artiste dont Soprano, Maxime Le Forestier, Pomme ou encore Shaka Ponk.
Enfin, le merchandising prend une place non négligeable de 12 % du bilan carbone total d’une tournée. Entre artistes et festivals, tout le monde y va de son T-shirt, tote bag et poster personnalisé, quid de l’impact écologique ? Difficile à remettre en cause, le merchandising reste une source importante de revenus pour les artistes et entretient le lien avec leur public. Les chiffres de la plateforme Bandcamp le prouvent : “[Ces cinq dernières années], les fans ont acheté 10,5 millions d’articles par l’intermédiaire de Bandcamp, pour un montant total de 166 millions de dollars”. Alors pour diminuer le bilan carbone de sa tournée tout en vendant CD, vinyles, T-shirts et autres accessoires, plusieurs solutions s’offrent aux artistes pour sensibiliser leur public aux questions environnementales. Le label anglais Mercury KX a produit 105 exemplaires de vinyles fabriqués à partir de déchets plastiques ramassés sur les plages de Cornouailles. Les bénéfices ont été reversés à l’ONG Surfers Against Sewage, engagée dans la lutte contre la pollution plastique sur les côtes. Cette initiative mérite d’être reproduite à grande échelle puisque les vinyles sont normalement composés à 43 % de PVC, soit l’un des plastiques aux substances les plus toxiques pour la planète selon Greenpeace.

 Vinyle créé à partir de plastiques du label Mercury
 Vinyle créé à partir de plastiques du label Mercury

Dans la même veine, le rappeur belge Roméo Elvis a su mobiliser son public face aux questions environnementales via un merchandising responsable. En effet, il a commencé à vendre des gourdes floquées du nom de son dernier album Chocolat ou encore de son animal fétiche : le crocodile. En lançant le hashtag #Magourdeàmoi, il a incité ses fans à acheter des gourdes réutilisables pour lutter contre la pollution plastique. À chaque gourde achetée sur son site, un euro est reversé à l’association The Ocean Cleanup pour nettoyer les océans. Selon Greenpeace, on estime qu’entre 8 et 12 millions de tonnes de plastique finissent dans les océans. Ainsi, la sensibilisation de Roméo Elvis à la lutte contre le plastique contribue indirectement à réduire le bilan carbone de ses tournées. Par ailleurs, la plupart des vêtements vendus à ses concerts et sur son site sont fabriqués en coton biologique ou à partir de textiles recyclés.

Franchir ces cinq étapes demande du temps et de l’engagement. Plusieurs organisations existent pour aider les divers professionnels du secteur musical à s’engager dans la transition écologique, notamment dans la réduction de son bilan carbone. The Green Room, ACT ou encore Reverb en font partie. Enfin, comme le rappelle Gwendolenn Sharp, “la situation actuelle expose la vulnérabilité d’une économie qui repose essentiellement sur les tournées, cela pose la question de la capacité d’adaptation de l’industrie musicale”. La récente tribune de Kevin Ringeval, membre du conseil d’administration de Technopol, témoigne d’une volonté de prendre le temps de réfléchir à l’avenir post-Covid-19 afin de “dégager des pistes et des ambitions écologiques [qui] permettrai[en]t aux acteurs culturels et festifs de tendre vers une transition zéro déchet, zéro carbone, respectueuse des conditions de travail, d’une diversité artistique”