Alors que le confinement a brusquement stoppé l’activité physique de nombreux professionnels, l’apprentissage de la musique a perduré de manière distanciée, et écoles et conservatoires de musique ont déployé leurs activités dans la sphère numérique en s’appuyant sur les nouveaux outils développés ces dernières années.
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Alors que le confinement a brusquement stoppé l’activité physique de nombreux professionnels, l’apprentissage de la musique a perduré de manière distanciée, et écoles et conservatoires de musique ont déployé leurs activités dans la sphère numérique en s’appuyant sur les nouveaux outils développés ces dernières années
Le 16 mars 2020, la France entrait dans une période de confinement dont la date de fin n’était pas encore connue. Toute les activités non essentielles étaient appelées à stopper ou à se déporter sur le numérique. C’est cette dernière option qui a été mise en place par les structures qui assurent la formation des musiciens de demain.
Transformation de l’activité des acteurs traditionnels
Les écoles de musique de la FNEIJMA ont ainsi assuré la poursuite de leurs activités comme nous l’indique Armonie Lesobre, directrice de la FNEIJMA (Fédération nationale des écoles d’influence jazz et musiques actuelles), « Il y a eu une continuité des activités pédagogiques avec des ateliers qui se sont poursuivis ». Néanmoins tous les cours n’ont pas pu être assurés de la même manière, poursuit-elle, s’appuyant notamment sur les difficultés à mettre en place des ateliers collectifs distanciés « Plus de problème en revanche sur la pratique collective […] Les outils comme Zoom ont un temps de latence ne permettant pas le chant collectif« .
On touche là l’un des points centraux déjà abordés dans notre enquête sur la pratique de la musique distanciée, le temps de latence induit par les solutions de visioconférence est un frein majeur à la pratique musicale des bandes à distance. Les écoles de musique, comme toutes les écoles, ont dû recréer leurs conditions d’apprentissage hors ligne dans l’espace en ligne et, bien que certains possèdent d’ores et déjà un environnement numérique spécifique, ce dernier ne permet pas d’effectuer toutes les particularités de l’apprentissage musical à proprement parler. Pour ce faire les écoles ont dû passer par des outils tiers tels que « Ninjam, Jamulus, MuseScore, Jamkazam » comme nous l’indique Armonie Lesobre.
Si ces solutions pour la pratique à distance permettent de maintenir « une poursuite des cours à minima« , ils ne remplacent pas de manière efficace le présentiel comme nous précise la directrice de la FNEIJMA. En effet les interactions du réel sont absentes de ce genre d’outil, tout comme les outils de visioconférence ne permettent pas de reproduire toutes les micro-perceptions que l’on saisit en présentiel. Perceptions qui rendent le dialogue, l’échange et la reproduction plus intuitifs.
Deux types d’outils ont été utilisés par les adhérents de la FNEIJMA durant le confinement : « des outils musicaux et des outils généraux« . Les outils musicaux sont ceux, déjà évoqués plus haut, qui ont permis de poursuivre la pratique de la musique à distance, les outils généraux sont ceux qui permettent d’assurer un suivi administratif et une continuité des échanges pédagogiques entre élèves et professeurs. Certaines écoles s’étaient déjà dotées d’un environnement numérique propice aux partages de cours et à la continuité du suivi des élèves en ligne. Mais d’autres ont dû s’adapter et prendre des outils externes. Certaines écoles sont ainsi passées sur l’outil développé par Alphabet, Google For Education. Mais le prix de cette solution (4 $ par élève/professeur) a été un frein à son adoption généralisée au sein des membres de la FNEIJMA, comme nous l’indique la directrice. D’autres ont opté pour un mix de différents outils disponibles : visioconférence, drive et emails notamment.
Émergence des nouveaux outils à destination des écoles
En matière d’outils administratifs, la suite Google For Education a été adoptée ou du moins considérée par de nombreuses structures (généralistes et spécialisées) à l’aube du confinement en France comme nous l’indique cette hausse des recherches Google amorcée dès la semaine du 8 au 14 mars.
Le produit proposé par le GAFA n’est évidemment pas le seul de ce marché. La solution Concerto Opus, développée par Arpège, s’adresse elle principalement aux conservatoires et écoles de musique et vise à faciliter la gestion administrative et le suivi des élèves. On peut songer aussi à la solution développée par Sinope Développement, Musicole, qui propose là encore un logiciel tout en un de suivi administratif adapté aux problématiques des écoles de musique.
Des logiciels originellement tournés vers la pratique de la musique en ligne, que l’on avait mentionnés dans notre précédent article, ont aussi développé leurs propres outils administratifs à destination des écoles. Soundtrap Education ou bien Bandlab For Education développent ainsi des solutions hybrides qui intègrent outils de suivi administratif et outils musicaux issus de leur version à destination des groupes de musique.
François Kreutz, président d’imusic-school, nous confie que certaines écoles ont fait appel à sa plateforme durant le confinement : « On a eu une dizaine d’écoles qui ont été intéressées par l’offre« , ce qui a permis à ces dernières de continuer l’activité en faisant profiter les élèves des contenus préenregistrés offerts sur la plateforme. Pour ce faire, la plateforme qui fonctionne sur le mode de l’abonnement individualisé a proposé des tarifs adaptés aux volumes d’élèves ramenés par les écoles en question. Mais ce n’est pas là la principale source de revenus pour la structure française.
Vers une migration des écoles de musique en ligne ?
Imusic-school est avant tout une plateforme qui fonctionne à l’abonnement mensuel ou annuel avec une visée B2C, offrant aux abonnés un accès à des contenus exclusifs préenregistrés permettant aux utilisateurs d’apprendre la musique en ligne. Le service a connu un rebond important de deux indicateurs clés pendant le confinement : le nombre d’abonnés et la durée de connexion sur le site. Concernant le nombre d’abonnés, la période a permis pratiquement un doublement des effectifs « au lieu d’avoir 30 nouveaux élèves par jour, on s’est retrouvés avec 300 […] alors qu’on avait 10 000 élèves au début du confinement, avec un rythme de 300 par jour on est passé à 17 000 en moins de 3 mois« .
Le deuxième indicateur parlant est l’engagement, et, en terme de temps passé sur la plateforme, les chiffres sont encore plus impressionnants : « Les élèves qui étaient déjà abonnés, les 10 000 qui normalement en général se connectent une heure par semaine, en cette période-là ils se sont connectés 5 heures par jour« . La réduction des activités hors ligne a permis aux élèves de pouvoir profiter du temps dégagé pour se consacrer à un apprentissage plus poussé. Le regain d’intérêt pour la plateforme apparaît durable puisque, le pic du confinement passé, le nombre d’abonnés n’a pas signifiquement décru se maintenant aux alentours de »13-14 000 abonnés » malgré les vacances d’été, comme nous le confie François Kreutz.
Pour autant le public n’est pas forcément le même que celui des écoles de la FNEIJMA, l’apprentissage en ligne via un site dédié ou via des Mooc s’adresse à un public plus hétérogène et peut notamment, par la flexibilité horaire qu’il induit, s’adresser à des personnes aux horaires non fixes ou aux horaires difficilement compatibles avec les horaires d’ouverture classique des écoles de musique.
Ces plateformes et Mooc en ligne peuvent être aussi perçus à juste titre comme des modules complémentaires d’un apprentissage en présentiel, une manière d’approfondir un cours donné en physique, voire une manière d’apprendre différemment. C’est ainsi que l’application développée par la startup Meludia s’appuie sur l’entraînement cognitif appliqué à la musique pour offrir une manière différente d’apprendre la musique.
Durant le confinement, la startup a connu « une forte hausse des abonnements en mars/avril« . Meludia a aussi proposé des réductions adaptées pour les professeurs et éducateurs. Le fondateur Bastien Sannac nous a d’ailleurs indiqué que « des conservatoires et écoles de musique avaient souscrit à l’offre aux États-Unis, en Angleterre et en Allemagne notamment« . Tandis qu’en France, malgré un fort intérêt pour les possibilités offertes par l’application, la mise en place de cette dernière dans ces institutions était plus compliquée. Et ce pour diverses raisons : le coût de la mise en place, mais aussi la réticence de certains professeurs ou parents d’élèves vis-à-vis de ce nouvel outil. Il est en effet difficile de convaincre des personnes habituées aux modes d’apprentissage plus traditionnels d’utiliser cette nouvelle forme d’apprentissage ciblant le développement de l’écoute.
Fractures numériques : inégalités face aux nouvelles technologies
Parler de fracture numérique au singulier c’est prendre le risque de centrer l’analyse sur le seul équipement public qui ne permet pas le même niveau de connexion entre un petit village reculé de Lozère et la métropole lyonnaise par exemple. En utilisant le terme au pluriel on rend en compte aussi des inégalités économiques et sociales qui font que l’accès Internet n’est pas le même pour tous dans une région pourtant bien desservie. On oublie trop souvent le coût induit pour équiper son foyer d’un accès Internet très haut débit, et, bien que les tarifs d’entrée de la fibre soient inférieurs en France à ceux développés en Amérique du Nord par exemple, la connexion n’est pas gratuite, et le coût de cette dernière n’est pas à la portée de toutes les bourses.
Or, la qualité de la connexion Internet est primordiale pour que l’expérience des outils musicaux en ligne soient optimale, outre le problème de latence, le fait d’avoir une connexion instable va réduire la possibilité d’échanger en visioconférence de manière compréhensible et va donc poser des problèmes de communication rendant les cours plus laborieux. C’est ce que nous confirme Armonie Lesobre, « j’ai eu des difficultés à joindre certains membres […] certains professeurs et certains élèves étaient affectés par la situation« , en précisant que ces derniers étaient dans une « situation inégale face à la couverture numérique« .
Et outre la simple couverture Internet, il est utile de pointer le fait que chacun n’est pas pourvu de matériel nécessaire pour prendre en main les outils de pratique distanciée. Pour un logiciel tel que Ninjam comme l’indique ce site, il est nécessaire de télécharger et d’installer plusieurs logiciels, et de les brancher ensemble : ce qui n’est pas forcément à la portée de tout un chacun. C’est d’ailleurs ce dont témoigne Bastien Sannac, parlant de la notion de « fracture technologique » avec des générations jeunes plus aptes à s’emparer de ces nouveaux outils tandis que cela est plus difficile pour d’autres qui n’ont pas baigné dans ce nouvel environnement. Il y a ainsi tout un travail d’apprentissage et d’initiation aux outils à effectuer au préalable auprès des professeurs, élèves et parents d’élèves.
Il a donc fallu former professeurs et élèves dans certaines écoles pour le maniement et l’utilisation des outils numériques musicaux et généraux. La FNEIJMA a mis en place un drive partagé ouvert aux écoles membres, comme nous l’indique Armonie Lesobre, « c’était plus pratique que de publier dans l’espace numérique réservé aux adhérents« , où les bonnes pratiques mises en place dans les différentes écoles membres du réseau et les outils, ainsi que les manières de les utiliser, étaient recensés.
Plutôt qu’une transformation des écoles vers le tout numérique, ce que le confinement a accéléré est l’évolution de leur manière de faire vers une hybridation entre l’apprentissage physique et l’apprentissage numérique. Les pratiques et outils présents dans les deux dimensions étant complémentaires, le développement de cette hybridation apportera une valeur ajoutée aux apprentissages dispensés au sein de ces institutions.