La première étude d’envergure sur le marché de la facture instrumentale en France vient d’être publiée : chaque année, 1,6 million d’instruments sont vendus pour un chiffre d’affaires d’environ 400 M€. Jacques Carbonneaux (CSFI) nous livre son analyse.
Attendue depuis longtemps, cette première étude d’envergure sur le marché des instruments de musique en France a été dévoilée le 1er juin à l’occasion du salon Musicora. Elle a été réalisée en 2017 par le Crédoc à la demande de la Direction générale des entreprises (DGE/ministère de l’Économie et des Finances) et de la Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI).
Les résultats dévoilés confirment les tendances observées : la fabrication française reste principalement artisanale et positionnée sur le haut de gamme, avec une forte notoriété internationale. En revanche, le marché étant très ouvert aux importations, notamment de produits d’entrée ou de milieu de gamme en provenance d’Asie, la balance commerciale du secteur est structurellement négative.
Dès lors, les enjeux sont multiples selon Jacques Charbonneaux, chargé de mission à la CSFI, membre du comité de pilotage de l’étude et co-fondateur du site la guitare.com : s’adapter aux réglementations et innover, exporter le savoir-faire français, encourager les pratiques instrumentales… Des enjeux qu’il détaille à l’occasion de la restitution de l’étude.
Chiffres clés :
• Le marché français des instruments de musique s’élève à près de 1,6 million de ventes annuelles, dont près de 1,2 million d’instruments neufs et 0,4 million d’occasion.
• Le marché des instruments neufs est évalué entre 375 et 417 M€ HT, celui des accessoires est estimé entre 100 et 150 M€ HT.
Interview : Jacques Charbonneaux, chargé de mission à la CSFI
Quels sont les principaux enseignements de cette première étude d’envergure sur le marché des instruments de musique en France ?
Les résultats témoignent d’un marché qui se situe entre excellence et concurrence, avec une offre de fabrication française d’instruments très haut de gamme et quelques entreprises – surtout spécialisées dans la fabrication d’instruments à vent – qui sont leaders mondiaux et qui exportent. D’un autre côté, la demande française se situe principalement sur de l’entrée de gamme ou du moyenne gamme alors que la production hexagonale est pratiquement inexistante sur toutes les familles d’instruments en dehors de rares exceptions, ce qui signifie que nous importons beaucoup. Il existe donc un grand écart entre la demande et l’offre d’instruments.
Comment cet écart s’est-il créé et faut-il y remédier ?
En France, comme dans d’autres pays d’Europe, nous ne produisons pas d’entrée de gamme car notre main d’œuvre est beaucoup plus coûteuse. Le Portugal ou certains pays de l’Europe de l’Est en produisent, mais c’est peu le cas en France. Par exemple, en guitare, 99% des artisans luthiers français ne fabriquent qu’en toute petite quantité.
La France a et a toujours eu un potentiel dans le haut de gamme, mais il faut pouvoir maintenant l’utiliser dans l’industrie et se positionner sur l’entrée et le moyenne gamme, ce qui est une recommandation du ministère de l’Économie. Le marché se trouve principalement là et des possibilités existent. On peut travailler avec un pays comme la Chine qui pourrait fabriquer des produits de qualité avec un savoir faire français, mais il existe également d’autres possibilités comme collaborer avec d’autres pays européens.
Comment la CSFI peut-elle accompagner ces pistes ?
Il faut déjà regarder la situation pour chaque famille d’instruments.
Le marché le plus important est celui de la guitare, un instrument dont la production est aujourd’hui très règlementée, notamment avec l’interdiction d’utilisation des bois tropicaux (+ d’infos), et peut-être prochainement avec l’interdiction du nickel pour les cordes de guitare électrique (ndlr : la décision sera rendue en novembre prochain). Sur le marché de la guitare, il y a tout à faire !
Pour les autres familles d’instruments, c’est plus compliqué, notamment pour le violon et les instruments frottés qui sont en forte concurrence avec la Chine qui est déjà capable de produire du haut de gamme sur ces créneaux.
Chiffres clés :
• Un marché français très ouvert aux importations : l’Allemagne et la Chine en sont les principaux fournisseurs, avec respectivement 28 % et 22 % des importations réalisées.
• Les exportations françaises d’instruments ont augmenté de 24 % entre 2012 et 2016.
Mais pour avancer là-dessus, il faudrait qu’on sache qui fabrique quoi. Or, le code NAF 3220Z (fabricant d’instruments de musique) ne nous permet pas de le savoir. J’ai proposé qu’on utilise le dernier caractère, ce qui est possible sur un territoire, afin de classer les fabricants par famille d’instruments, mais cela nous a été refusé car notre secteur ne pèse pas assez économiquement. Donc nous avons encore un travail de sensibilisation à mener auprès des pouvoirs publics là-dessus, et déjà avec cette étude nous nous sommes faits identifier. Les décideurs publics peuvent maintenant se rendre compte qu’il existe des fabricants d’instruments de musique en France !
Sinon, pour en revenir aux collaborations et à l’export, il faut se dire qu’il y a tout à conquérir, par exemple sur le marché chinois du piano qui est en pleine expansion. Mais, attention, un des enjeux au-delà de l’export et du rayonnement est aussi de pouvoir offrir à nos enfants des instruments d’entrée de gamme et de favoriser la pratique instrumentale.
Est-ce que la situation des magasins d’instruments est préoccupante ?
Oui, elle l’est. Les magasins d’instruments sont en train de vivre une totale résilience avec Internet. Les petits magasins qui ne font pas partie d’un réseau de distribution souffrent et ferment, et ceux qui s’en sortent développent des activités de pratique instrumentale ou sont liés à des écoles intégrées. Ce sont les premiers qui ont voulu participer à la manifestation « Osez la musique » (lire en bas de page) car ils considèrent que l’événement est un très bon levier pour favoriser la pratique et redynamiser leur magasin.
Acheter pour soi ou pour ses enfants
• La clientèle des claviers & accordéons et des batteries & percussions est plutôt jeune alors que celle des instruments à vent et des cordes pincées est un peu plus âgée.
• Les cordes frottées se distinguent par une part d’acheteurs de plus de 65 ans bien plus élevée.
• Les achats sont pour moins de la moitié (en quantité) réalisés dans un magasin revendeur. La vente en ligne représente près d’un quart du marché.
Quelles sont les suites prévues à cette étude ? Les pouvoirs publics sont-ils prêts à s’engager sur un soutien au marché des instruments ?
Il n’y a pas de subvention en direct pour un secteur comme le nôtre. Il y a en revanche un levier d’aide à travers l’innovation… à condition d’avoir des projets pertinents. On parle souvent des instruments numériques de demain, mais je pense que les fabricants d’instruments tels qu’on les connaît aujourd’hui ont besoin d’innover du fait des nouvelles réglementations liées aux matières premières.
Beaucoup de travail a déjà été réalisé là-dessus. En guitare par exemple, une solution au palissandre a été trouvée et on peut fabriquer des guitares en bois qui sonnent presque à l’identique, avec une très légère différence de teinte comme deux vins d’une même région. Par contre, le problème est plus compliqué pour les clarinettes où il n’y a qu’une espèce de bois qui s’adapte et fonctionne.
Sur ces questions, des projets pourraient éventuellement être subventionnés par la BPI, mais pour cela il faut que des projets pertinents existent.
Il s’agit donc de développer la Recherche & Développement chez les fabricants…
Il ne faut pas se leurrer, dans 50 ans, on ne pourra plus utiliser les matières premières et les résines polluantes telles qu’on les utilise maintenant.
Beaucoup de luthiers me parlent des résines naturelles et écologiques, d’autres ont trouvé des alternatives pour les soudures en plomb sur lesquelles la législation va changer en 2019, etc.
En France, chacun travaille dans son coin sur ce genre de chose, mais l’intérêt est de mutualiser cela. Certains fabricants sont prêts à créer un fonds ou une surtaxe sur la vente d’un instrument pour financer une replantation d’arbres, or nous pourrions le faire tous ensemble. Les premières idées sont là, mais il reste maintenant à convaincre tout le monde.
Osez la musique
La Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI) lance un projet d’envergure nationale : Osez la Musique, un événement qui aura lieu le 23 juin dans les magasins d’instruments qui proposeront des initiations au public.- « La CSFI a toujours joué un rôle pour favoriser la pratique instrumentale, notamment en étant partenaire d’Orchestre à l’école ou à travers l’ancienne version d’Osez la musique. La nouvelle version, dont la première édition aura lieu le 23 juin dans une cinquantaine de magasins d’instruments en France, ajoute a l’aspect culturel – encourager à la pratique – l’aspect économique afin d’aider le revendeur a refidéliser une clientèle. »
- « Les magasins ne doivent pas se contenter de vendre un instrument. Il faut qu’ils apprennent au client ce qu’est un instrument, le sensibiliser à l’importance de l’entretien et des réglages, lui expliquer qu’il a besoin de consommables et d’accessoires, etc. En gros, développer une culture instrumentale auprès des musiciens qui pratiquent déjà comme auprès de ceux qui n’ont jamais essayés. »