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Interview : Croc’ Vinyl à Toulouse

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À l’occasion du Disquaire Day, organisé le 12 juin puis le 17 juillet 2021, le Centre national de la musique met en lumière le métier de disquaire indépendant.
Rencontre avec Eugène Corona Pinéda, disquaire Croc’ Vinyl à Toulouse, par Mathias Milliard. 



Croc’ Vinyle

7 Rue des Lois
31000 Toulouse

05 61 23 79 90



Développer Internet équivaut à ouvrir un deuxième magasin.

Eugène Corona Pinéda – Disquaire Croc’ Vinyl à Toulouse 

Eugène Corona Pinéda a ouvert son magasin de disques Croc’ Vinyl en 1987, à Toulouse. Il raconte ce que la crise a changé à son métier de disquaire et le lien qui l’unit à ses clients.

En temps normal, à quoi ressemble votre journée de disquaire ?

Elle consiste à ouvrir le magasin, faire le ménage, lire ses mails et à répondre aux commandes via Internet, puis à consulter les listes de réassort et de nouveautés pour passer commande. En parallèle, je m’occupe évidemment des clients, je bavarde beaucoup avec eux. C’est la base ! Si je fais ce métier, c’est pour avoir ce contact humain, pour parler de ma passion et échanger avec les clients sur des sujets multiples et variés.

Mais quelque part, cette journée était celle d’un disquaire avant la crise sanitaire. Depuis, on a mis la main dans un commerce qui s’appelle Internet et qui nous prend énormément de temps. Le développer équivaut à ouvrir un deuxième magasin, mais toujours avec les mêmes personnes qui le tiennent. Cet aspect des choses devient compliqué parce que, en fin de compte, nous ne sommes pas faits pour ça. Personnellement, je n’ai pas choisi ce métier pour faire des emballages toute la journée.

Comment Croc’ Vinyl a-t-il vécu la crise liée à la Covid-19 ?

Au tout début, les premiers jours ont été cruels. On ne savait pas où aller, on était dans le noir. En plus de quarante ans, c’est la première fois que je fermais le magasin ! Ne plus voir personne, perdre le rapport à l’autre, ne plus ouvrir le tiroir-caisse… C’était à se demander comment on allait s’en sortir.

Pour avoir discuté avec d’autres disquaires, on a tous ressenti cette solitude, le fait d’être coupé de la population qui tourne autour du magasin : les copains, les amis, des gars qui vont devenir copains puis amis, des gens qui déménagent, d’autres qui arrivent, les enfants de nos anciens clients qui maintenant fréquentent le magasin, etc. Cela représente une grande famille.

Face à la situation, il a fallu trouver des solutions et j’ai été très surpris par la solidarité environnante. Le propriétaire ne m’a pas facturé les loyers, la clientèle locale a continué à consommer en click & collect pour nous soutenir, même les majors ont joué le jeu en autorisant des paiements en différé, sans quoi nous aurions eu les huissiers à la porte et de nombreux magasins auraient fermé. Au fil du temps, on s’est aperçu qu’il y avait une réelle entraide et que tout le monde répondait présent.


Le jeune syndicat GREDIN nous a également épaulés pour faciliter l’accès aux aides. J’ai pu bénéficier des mesures mises en place par le gouvernement ou par le CNM, le chômage partiel m’ayant notamment permis de conserver mon employé. Sans ces aides, je ne serais plus là.
Je ne sais pas comment cela s’est passé dans les autres pays mais, en France, nous avons quand même été aidés. En tant que disquaire, j’estime que nous n’avons pas été mis de côté, et puisque l’on a l’habitude de critiquer nos services administratifs, là, il faut plutôt souligner que les procédures étaient fluides et simplifiées.

Nous avons aussi profité du travail effectué par les libraires, ce qui a permis aux disquaires d’obtenir des réductions sur les frais de port et d’être considérés comme un « commerce essentiel », ce qui fait chaud au cœur car je me suis toujours battu pour que mon métier soit reconnu.

La clientèle féminine s’est développée et les jeunes écoutent des choses de plus en plus spécialisées.

Ventes en ligne, click & collect, quelles ont été vos initiatives pendant cette période ?

Notre alternative a consisté à investir vraiment Internet. Avant, nous favorisions d’abord la clientèle en magasin par rapport à la marchandise, mais là, nous avons mis un maximum de références en ligne et les ventes ont explosé, ce qui nous a permis de continuer à vivre.

Concernant le click and collect, l’opération a plus ou moins marché mais a témoigné de la solidarité des clients. Certains venaient acheter un disque juste pour nous aider, c’était flagrant, et les autres disquaires toulousains ont également constaté cette logique de consommation d’entraide.

Avec de nombreuses sorties prévues et le Disquaire Day qui arrive, qu’espérez-vous de la reprise ? À quoi vous attendez-vous dans les semaines et les mois à venir ?

Comme je suis dans le disque depuis les années 80, j’ai déjà vécu les différents hauts et bas du marché : l’arrivée des CD, l’arrivée d’Internet, le vinyle qui s’effondre, le CD qui s’effondre, etc. On a rebondi à chaque fois, et de nouveau nous sommes confrontés à ce cas de figure où nous ne savons pas ce qui va se passer.

Ce qui m’inquiète en premier lieu est l’augmentation croissante du prix du disque. Le vinyle continue à bien se vendre, le neuf notamment, mais aujourd’hui le prix moyen d’une nouveauté est entre 25 et 30 €. Normalement, pour qu’un disquaire fonctionne, il devrait prendre une marge d’1,8 sur du neuf, sauf que c’est impossible. Nous ne pouvons pas appliquer cette marge car nous sommes confrontés à la concurrence d’Internet, où des disques sont parfois moins chers sur Amazon que chez notre grossiste !
Heureusement, nous vendons également de l’occasion et ce sont sur ces produits que nous pouvons installer notre marge. Si nous n’avions pas ce mélange entre neuf et occasion, notre situation serait beaucoup plus compliquée. Car le neuf reste cher. Je reste d’ailleurs étonné de vendre un disque à 40 €, surtout à un jeune. Pour moi, 40 €, c’est beaucoup d’argent. Alors, combien de temps les disques vont-ils réussir se vendre à ce prix-là ? Je ne sais pas, mais nous sommes de nombreux disquaires à tirer la sonnette d’alarme. Il ne faudrait pas reproduire les mêmes erreurs que dans les années 80 et 90 avec l’augmentation constante du prix des CD qui a poussé les clients à s’éloigner du marché.

Comment évoluent la clientèle et ses habitudes ?

La clientèle féminine s’est développée, chose qu’on ne voyait pas vraiment avant. Et puis les « jeunes » de 18/30 ans, contrairement aux idées reçues, écoutent des choses de plus en plus spécialisées. Ils sont curieux, curieux de sons, curieux de nouveautés, ce qui nous permet, quand il y a une nouveauté un peu obscure, de quand même pouvoir la faire écouter et découvrir, ce qui reste le cœur de notre métier.

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